Texte et mise en scène Guillaume Vincent
Très librement inspiré des Mille et une nuits
Guillaume Vincent affirme le pouvoir de la fiction d’apaiser la réalité.
Une salle d’attente peuplée de jeunes mariées. De la musique d’ascenseur, des visages livides et au centre de la scène (et des regards du public), une lumière surmontant des portes battantes. La lumière est rouge quand les portes sont fermées. Elle est verte à leur ouverture. Au changement de couleur, un signal sonore agressif se fait entendre, les portes s’ouvrent, l’une des mariées se lève, monte les escaliers et, avant de disparaître complètement, lance un regard vers le public. Ce regard est le dernier. Le public le sent. Vont se succéder alors plusieurs femmes dans une montée en tension d’une grande efficacité. A chaque nouveau départ, la cage d’escalier sera maculée de sang. Guillaume Vincent place le premier quart d’heure de son spectacle sous le signe de la terreur et de la peur. Aucun dialogue mais des sons. C’est au milieu qu’apparaît Shéhérazade, héroïne des Mille et une nuits, qui use d’histoires nocturnes pour assurer sa survie. Avide de connaître la suite, le roi décide de ne pas la tuer et lui accorde un jour de plus. Guidé par la voix de l’héroïne, le public découvre certains contes mythiques.
Guillaume Vincent, en s’inspirant des Mille et une nuits, propose un voyage aux multiples facettes, fait autant de féerie que de cruauté, de joie que de sang, de chants que de cris. Conçue en deux parties, cette pièce est un jeu de confrontations plus que de rencontres. Chaque personnage est méfiant et arme à la main, demande des justifications, des preuves aux êtres face à lui. Il faut se livrer et se mettre à nu pour gagner la confiance de l’autre. Cette recherche montre l’extrême fragilité des êtres, tous marqués par un passé de soumission et d’abus. Dans une ambiance contemporaine reprenant des codes visuels de l’orientalisme du livre originel, les contes se suivent, les personnages se croisent au cœur d’une scénographie au déploiement méticuleux et fascinant. La première partie brasse une multitude de thèmes dont le principal est la violence faite aux femmes (toutes leurs libertés sont contraintes, les obligeant à s’enfermer pour se protéger). Après l’entracte, le metteur en scène propose une histoire de son cru, reprenant les thèmes et les symboles de la partie précédente. Un jeune homme tente de faire sa vie à Paris comme magicien. Il entretient une histoire d’amour secrète avec l’une des trois sœurs travaillant dans le même cabaret que lui. En parallèle, un homme pris de passion pour une mystérieuse femme héberge une amie, sorte d’oracle le guidant dans le parcours complexe de ses sentiments. Brassant des sujets d’actualité (racisme, sexisme, absence de dialogue, solitude du cœur…) et des nœuds de questionnement social, cette seconde partie permet une évolution dans l’interprétation. Dans la première partie, les comédiens jouent des personnages, dans la seconde, ils sont les personnages. En étant au plus près de cette magnifique troupe, le public approfondit les thèmes exposés auparavant. Les dialogues sont plus longs et le ton est plus feutré. L’enjeu de l’amour, de sa frustration et son éventuel échec, est encore plus présent.
Ce chemin proposé par Guillaume Vincent repose sur une construction très précise et réfléchie. Ne passant pas par les explications, il joue avec tous les codes des émotions. Son introduction pourrait se rapprocher d’un film d’horreur, un autre moment du stand-up et un troisième d’un spectacle d’école. La palette des genres est sans limites, offrant à chaque scène la possibilité au public d’ouvrir une autre porte de son imaginaire. Dans ce grand et bel écrin, les acteurs et actrices sont époustouflant.e.s de générosité et de puissance. On retrouve la magnifique Emilie Incerti Formentini, actrice fétiche de Guillaume Vincent, impressionnante de charisme et dont le sens du rythme lui permet de creuser chaque émotion de son interprétation. Le trio formé par Andréa El Azan, Florence Janas et Kyoko Takenaka développe également toute cette richesse émotionnelle, en travaillant autant sur la sensualité que l’humour ou la violence.
Guillaume Vincent mène ses nombreux contes avec une fluidité élégante, une virtuosité éclatante. Il nous mène par la fiction avec plaisir et replace l’importance de « dire » au cœur de sa création. Il ouvre un véritable dialogue avec le public s’amusant de tous les codes du jeu, toutes les possibilités de la scénographie. Le déploiement de ses Mille et une nuits est éblouissant dans sa mise en oeuvre et explore habilement des sujets d’aujourd’hui. Sans s’empêtrer dans un théâtre politique réaliste et direct, le metteur en scène reste dans l’univers de la fiction, des images et des effets pour mieux contourner les écueils et rappeler les clichés guidant encore les rapports humains. On pourrait même penser que la formidable écoute entre ses comédien.nes, leur solidarité et le plaisir communicatif du jeu collectif sont une solution proposée à l’obscurantisme d’hier et d’aujourd’hui.
Avec Alann Baillet, Florian Baron, Moustafa Benaïbout, Lucie Ben Dû, Hanaa Bouab, Andréa El Azan, Emilie Incerti Formentini, Florence Janas, Djibril Pavadé, Kyoko Takenaka et Charles-Henri Wolff
Equipe
Dramaturgie : Marion Stoufflet
Scénographie : François Gauthier-Lafaye
Collaboration à la scénographie : Pierre-Guilhem Coste
Lumières : César Godefroy assisté de Hugo Hamman
Composition musicale : Olivier Pasquet & Florian Baron
Son : Sarah Meunier-Schoenacker
Costumes : Lucie Ben Dû
Assistant à la mise en scène : Simon Gelin