Notre désir est sans remède

Frances Farmer est une actrice américaine ayant connu la gloire et la déchéance. Entre les fans, le monde du cinéma, la justice et la médecine, son corps aura été autant adulé que maltraité.

On dit que les gens qui vivent sous un volcan ou sur une faille sismique ont une perception différente du temps, qu’une sorte d’urgence existentielle les habite et les pousse. Ils ont intériorisé l’imminence permanente de la catastrophe, l’idée qu’à chaque instant tout peut s’arrêter, tout peut être recouvert de cendres et glisser vers les entrailles de la Terre ; ils vivent en conséquence, en sursis, en suspens. France est descendue, remontée, de Seattle à Hollywood, à San Francisco, elle a longé la côte dans toutes les directions. Elle est allée maintes fois du volcan à la faille. Elle n’est pas pressée ; elle a tout son temps, les choses ont lieu qu’on le veuille ou non.

Une fois terminé ce roman, j’ai pensé à la phrase suivante (attribuée à François Truffaut) : « Le cinéma est l’art de faire faire de jolies choses à de jolies femmes ». Tout au long de son texte, l’auteur pointe toutes les dérives de l’entreprise du regard sur une femme et son corps. C’est par le cinéma que le roman commence : un tournage, le travail du chef opérateur, la présence d’un producteur, le regard d’un réalisateur. Tous les éléments qui façonnent une image, une légende, la capacité d’un être à marquer la pellicule, l’écran et la mémoire sensible du public. Ensuite, Mathieu Larnaudie remonte le temps pour s’intéresser à Frances Farmer, cette femme animée par le désir de faire du cinéma. Se dessine alors une personnalité forte et travailleuse, souhaitant rester elle-même tout en maîtrisant les codes de l’univers rêvé. Mathieu Larnaudie ne s’éloigne jamais de la sincérité de cette artiste pour mieux épingler la fausse magie de l’industrie hollywoodienne et la réelle violence des regards masculins permanents. En bouleversant la chronologie, Mathieu Larnaudie opère des allers-retours dans l’histoire sans jamais tenter d’éclairer ou d’expliquer la vie de Frances. Elle subit et affronte. Elle est en mouvement contre des mondes, des postures, refusant de s’y soumettre. L’écriture se fait allusive et ses phrases, tels des mouvements de caméra amples et élégants, nous mettent au plus près de cette actrice. L’auteur empoigne toute la vie de cette femme en évitant les stéréotypes de la biographie. L’apport de la fiction, du regard de l’écrivain apporte une humanité généreuse au texte. Comme l’indique le titre, la vie de Frances est pleine de désir, le cinéma est animé par cela également. Ce moteur en est à chaque fois une maladie, celle qui ronge, qui grignote les esprits et les corps, qui les éloigne de la réalité et de la vie.

Ce roman est publié par Actes Sud au prix de 19.30€ et en version numérique à 13.99€.

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