Les Cormorans

Tout commence sur le vraquier du capitaine Moustache. Le bateau est à la dérive. Deux hommes scrutent une terre salvatrice. C’est la fin d’une course folle. Il faut remonter le temps et les espoirs de chacun pour comprendre la vie des ces êtres habitant une île perdue. Au milieu du brouillard, en cette fin du XIXème siècle, au large du Chili, des hommes tentent de changer leur vie et d’écrire leur destin.

Aux prémices d’une nuit, la réaction des hommes s’avère toujours ambivalente. Certains pensent que le monde doit être lavé de ses péchés et réclament une purge. Tant pis s’il faisait pourrir les arbres et menaçaient les cultures. Tant pis s’il réduisait le commerce, s’il rendait la pêche plus dangereuse, si les enfants avaient le teint livide, si le tonnage de guano s’amenuisait, si le pain avait le goût de l’eau. La vie étant cyclique, et le présent guère enviable, glisser un bon coup dans les abysses promettait des lendemains meilleurs. Le brouillard eut ses prédicateurs, ses adorateurs, sa secte.

Le premier roman d’Edouard Jousselin commence par une dérive. Deux hommes, Vald et Joseph, sont perdus au milieu de l’océan espérant atteindre une terre pleine d’espoir. C’est l’exploration des espérances qui mène l’auteur dans un climat d’aventures teinté bientôt de complots, de commerces et de révolutions. Il scrute l’obstination de certains hommes prêts à tout sacrifier pour être à leur place. Leur détermination est puissante reposant sur des frustrations, des désirs dévorants et c’est la confrontation entre ces multiples ambitions que l’auteur met en scène avec beaucoup de suspens. Au cœur de la machination orchestrée, Edouard Jousselin met l’envie de pouvoir. Joseph, Ménélas, Moustache, Vald et Juan José sont en plein tumulte, parfois malgré eux. Certains en sont les victimes, innocents broyés, les autres tentent de jouer dangereusement avec. L’histoire avance sans s’arrêter et nous voyons les personnages courir après, tentant de la rattraper, à défaut de la faire. Qui parviendra à écrire l’Histoire ? Dès les premières pages, la tragédie est là, et implacable. Aucune pitié n’est de mise. La fin sera terrible et violente.
Le parcours dramaturgique minutieux et intense décrit un désir aveugle de transcender la réalité, de la dépasser pour en devenir le maître. C’est une quête de pouvoir au cours de laquelle ces hommes semblent n’avoir peur de rien. Ils pensent n’avoir rien à perdre et le lecteur sera le témoin de ces êtres qui se lancent à corps perdus. Ce roman est animé par la trahison, la malédiction, la passion, le mensonge, la cupidité et l’avidité. Ces hommes sont des monstres et en les approchant de la terreur inéluctable de leurs actes, le romancier les met à l’épreuve de leur vérité. Pas à pas, Edouard Jousselin capte la violence du monde mû par les égoïsmes et l’opportunisme. Pour apporter une emphase enivrante, l’auteur manie brillamment l’environnement pesant sur ses îles et ces Hommes, esquissant ainsi un visage à la Fatalité. Les femmes, muses sacrifiées, sont des lumières émouvantes dans cette nuit noire. La tension monte progressivement sans jamais faiblir. La machination semble se transformer en ronde terrible où les hommes deviennent de simples pions rattrapés par leurs sentiments profonds. Seuls les plus habiles et les plus impitoyables parviendront à sauver leur peau. Edouard Jousselin déroule inlassablement le fil narratif, ne lâche pas ses personnages et compose un roman absolument saisissant et captivant, tableau des folies humaines destructrices.

Ce roman est publié par Rivages au prix de 20€.

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