Knock out !

Scénario et dessin de Reinhard Kleist

Une ville, la nuit. Un homme est passé à tabac dans une ruelle par un groupe hurlant des insultes homophobes. Abandonné en sang dans le caniveau, il est abordé par une mystérieuse silhouette encapuchonnée, qui recueille sa confession.
Né en 1938 dans une île des Caraïbes, Émile Griffith émigre aux États-Unis après la Seconde Guerre mondiale, où, devenu modiste, il confectionne des chapeaux pour femme. Jusqu’au jour où son patron repère son impressionnante musculature, due à une jeunesse passée à trimer dans des exploitations agricoles, et le présente à un entraîneur de boxe. Doué, Emile va rapidement grimper les échelons, mais avec le succès viennent la jalousie et les injures contre ce boxeur qui préfère les hommes…

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La couverture de cette bande dessinée place toute de suite l’enjeu narratif : la confrontation d’un homme aux gestes sûrs et au regard profond au KO, moment décisif et cruel de la boxe. Cette histoire sera un combat injuste et violent. L’histoire d’Émile Griffith est tragique dès le départ car il porte sur son visage et en lui les raisons d’une détestation féroce. Reinhard Kleist, avec une mise en scène soignée et un noir et blanc tranchant, met en avant la grande sincérité du boxeur. Il porte en lui l’humanité bousculée, malmenée par les préjugés. Le visage de couverture devient même un enjeu des dessins. Durant les premières pages, il est dissimulé par l’obscurité avant d’être couverts de coups. L’attente maintenue par l’auteur permet de conserver l’impact de la première rencontre. Il veut nous faire voir le vrai visage de cet homme, plus jeune, innocent, confectionnant des chapeaux et devenant une sorte d’espoir du ring. Pendant ces premières années, Emile Griffith est encore lui-même. Il n’a pas été atteint par les préjugés et la violence de la société. La BD se poursuit, comme souvent dans les œuvres biographiques, avec des allers-retours temporels, alliés rythmiques mais parfois usant la narration. Celle-ci se veut explicative, reliant des moments de vie éloignés, en oubliant d’être sensible. L’émotion reste tout de même grâce aux dessins magnifiques de Reinhard Kleist. Il excelle dans la transcription des mouvements du corps d’Emile. Le boxeur est virevoltant, surpassant par son talent ses adversaires et forgeant l’admiration du public. Ces scènes de combat témoignent de la force physique incroyable de cet athlète et rapidement de la violence propre à ce sport. Le travail des corps, des attitudes est toujours très marquante dans l’œuvre de Reinhard Kleist. Il parvient à saisir dans cette BD toute la violence d’un milieu et d’une société, tant dans le public que dans l’entourage d’Emile. La pression sociale ne laisse que peu de place à la tendresse et l’amour. Alors se pose la question de la conscience de cet homme au milieu de l’aveuglement des autres animés par la seule soif de victoire et d’argent. Que doit faire Emile pour être lui-même ? Pour conserver sa sincérité ? Etre sur un ring et faire ce que le monde attend de lui ou être en accord avec ses principes, ses envies. Cette dualité met en scène le jeune Emile ganté et le vieil homme au visage marqué et sombre. Cette confrontation est l’axe principal de cette BD, exprimant toute la complexité d’un homme qui n’a pas réussi à être lui-même.

Cette BD est publiée par Casterman au prix de 18,95€.

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