Over the rainbow

La narratrice recompose la vie de son père décédé du Sida. Entre ses souvenirs et son imaginaire, elle remonte le fil de l’histoire, commune souvent et distante parfois. Elle tente de recoudre une part de son intimité.

Ton frère est donc parti du domicile familial. Il est d’abord allé à Paris, chez une tante éloignée, puis, après avoir échoué à l’oral de Normale, il a filé de l’autre côté du monde enseigner la philo dans les lycées français de Pointe-à-Pitre puis de Basse-Terre. Tant que vous avez vécu, il lui a fallu placer ces milliers de kilomètres entre vous. Aujourd’hui, Bertrand a quitté les contrées exotiques dans lesquelles il a fui à vingt ans pour revenir habiter sur les hauteurs de Nice, maintenant que personne n’y vit plus. Il est revenu sur la terre qu’il a toujours aimée, plantée d’oliviers, de mimosas et de plaqueminiers. Dans un coin de son jardin, il fait pousser des orchidées, qui lui rappellent ses années passées dans les îles.

Le roman est une grande introspection menée par l’écriture simple et directe de Constance Joly. Le premier chapitre, la venue d’une vieille amie, sert de déclencheur à l’autrice, ici narratrice, pour enfin parler et se confronter à son père. Elle replonge dans ses souvenirs et, avouant en avoir peu, place tout de suite, dans sa narration, l’imaginaire. Entre le vécu et le rêvé, on se retrouve au coeur de cette famille où le père semble jouer un rôle. Car la narratrice observe et parle de son père avec les impressions de tous ses âges. On rencontre cet homme à travers les yeux d’une petite fille, d’une adolescente et d’une adulte. Cette pluralité de tons renforce tout le mystère autour duquel se nouent les relations entre les parents et les enfants. La narratrice tisse une ligne de vie à son père et cet accompagnement vers une fin annoncée gagne en émotions à chaque chapitre. Les parents se séparent et on suit le parcours sentimental de ces deux êtres perdus. Le père assume une part de lui-même et commence un nouveau moment de sa vie. La mère est comme abandonnée. La narratrice parle d’amour dans sa globalité. Il y a les rencontres et les séparations, les révélations et les déclarations. C’est fort, intense et brutal. Mais reste en filigrane la puissance de l’amour, cette joie d’avoir vécu, l’espoir de vivre encore. La narratrice mêle les sentiments de trois êtres, les siens et ceux de ses parents. C’est un océan agité que nous parcourons avec elle. Nous traversons les années SIDA au cours desquelles un tabou a aveuglé une grande partie de la société. L’autrice interroge la place de l’amour et de la liberté dans son époque. La violence d’une stigmatisation, la puissance destructrice d’une maladie, tout cela est capté en quelques pages. Elle revit, observe et imagine. Ainsi Constance Joly avance dans le temps, dans sa mémoire, ce qui la met à distance de certains faits et la replonge dans d’autres. Mais la sincérité de ces retrouvailles avec son père reste tel un fil rouge tout au long de la lecture, comme si écrire permettait réparer des moments vécus.

Ce roman est publié par Flammarion au prix de 17€.

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