Parle tout bas

La narratrice reçoit un coup de fil d’un inconnu. Après l’avoir plusieurs refusé, elle écoute le message laissé par l’homme, un inspecteur. Il veut la voir pour parler d’une affaire vieille de douze ans. La narratrice voit son présent puiser dans son passé et l’éclairer. En douze ans, elle a continué sa vie tout en contenant cette horreur en elle, celle du viol.

J’avais connu cet homme aussi, très grand, avec des yeux bleus perçants
et le front légèrement dégarni. Il s’appelait Gary.
Quand je l’ai rencontré pour la première fois, je n’arrivais plus à poser un pied devant l’autre. Une séance avait réglé le problème. Je n’ai cependant jamais retrouvé mon pas léger et aérien. J’étais tout de même revenue le soir des semaines après, par sécurité. En battant la mesure sur mes genoux, il avait comparé la mémoire au disque dur d’un ordinateur. Il s’agissait non pas de supprimer les données mais de les modifier. De transformer les souvenirs. De court-circuiter la réalité, faire naître de nouvelles images. C’est peut-être pour cela que tout m’apparaît si flou à présent.

Cette histoire à la première personne est un voyage sensible entre le traumatisme du passé et le jugement du présent. C’est dans une histoire étirée, ayant subi une longue interruption, qu’Elsa Fottorino plonge le lecteur. la connexion directe avec la narratrice installe une intimité fine et délicate, au-delà de la simple compassion. Elle reconnaît avoir peur et être maladroite avec les mots. C’est donc tout un exercice sensoriel et intellectuel de recomposer son passé, cet événement traumatique et violent. Elle doit se reconnecté à elle-même tout en admettant les conséquences de ce viol.

Cette narration de soi, indispensable à la survie, est portée magnifiquement par l’écriture d’Elsa Fottorino. L’autrice est à l’écoute de son personnage et met en scène tous les jeux de regards posés sur elle. Dès que ce drame personnel devient publique, alors les policiers, son avocate ont un point de vue et veulent écrire l’événement pour mieux le comprendre (dans une logique d’enquête et de justice). Ce roman est une histoire à plusieurs dimensions, où une vie, tout en étant éclatée, a continué. On sent l’énergie de cette femme à vivre, à construire et à se préserver de certains questionnements. Mais cela n’empêche pas, à certains moments, d’être un peu perdu dans la lecture de ce voyage dans le temps, dans les méandres chronologiques. Le personnage principal semble tenir à lui seul ce roman, faisant des autres caractères, des ombres, des êtres de passage.

Le roman souligne les silences émotionnels des traumatismes en évitant de les encombrer de mots et de formules. En filigrane, peut-être que la romancière questionne ce besoin de recourir aux mots, de trouver la justesse d’une phrase et de son rythme pour mieux atteindre une forme d’apaisement.

Le roman d’Elsa Fottorino est publié au Mercure de France au prix de 15€.

2 commentaires Ajoutez le vôtre

Laisser un commentaire