La Falaise

Scénario et dessin de Manon Debaye

C’est une falaise où se retrouvent Astrid et Charlie. Vendredi, dans quelques jours, elles ont décidé de s’y jeter. Elles on juré et établit un rapport de fidélité. Ce n’est pas de l’amitié, pas une relation qu’elles puissent assumer devant les autres. Tout les oppose alors personne ne comprendrait. Plus qu’une semaine à faire semblant, une longue semaine.

Le roman graphique de Manon Debaye s’ouvre sur deux cases, même cadrage, même angle et même lieu : la falaise du titre. Cette falaise est le troisième personnage de cette histoire. Elle est le trait d’union entre Astrid et Charlie. Elle les retient, nourrit leur imaginaire, les réconforte et doit être le lieu de leur suicide. Dans cette première page, cette falaise est d’abord déserte avant que ne surgisse un être au t-shirt jaune, sautant, plongeant dans la mer. Une page blanche laisse reposer ces deux images, les couleurs pastel envahir l’esprit du lecteur. On découvre Astrid dans son quotidien ennuyeux, la voiture qui, lundi, l’emmène sûrement à l’école. Mais heureusement pour elle, il y a une certaine joie à retrouver Charlie près de cette falaise. Les deux filles, si différentes l’une de l’autre, préparent l’événement de vendredi. Manon Debaye observe ces deux adolescentes dans leur quotidien, qu’il s’agisse de confrontations avec l’environnement (scolaire et familial) ou de réconfort avec cette nature qui les rassure, leur apporte une certaine paix. Elle suit pendant les cinq jours ces deux personnages et pointe les écroulements intimes vécus. Les adultes sont maladroits ou absents, ne réalisant pas la gravité du malaise.Astrid et Charlie ne voient pas d’autres issues à leurs vies. Leur amitié, secrète, sur laquelle ne se pose aucun mot, est une bulle très, trop fragile.

Par son simple regard, par cette manière de capter les gestes, leur tendresse et leur complicité, Manon Debaye montre toute la difficulté pour ces deux filles à surmonter les fragilités du moment. Elles ne rentrent pas dans la vie, écrasées par les codes de la société et refusant les normes qu’on leur propose. Ce mal être, intense et profond, émeut, bouleverse. Pas seulement parce que plane cette programmation du suicide. L’autrice n’appuie jamais sur la tragédie suprême mais rappelle les drames intérieurs et réguliers. Sa mise en scène sur les corps d’Astrid et Charlie est vraiment passionnante. Pour Astrid, elle la présente sur l’herbe, endormie. Les cases découpent le corps de la jeune fille, sorte de rubik’s cube. Astrid est perdue, même physiquement. Elle n’arrive pas à être. Quant à Charlie, elle vide sa colère dans des mouvements de combat, seule dans sa chambre. La planche est sans texte. Seul le corps en mouvements, reflet d’un désespoir, apparaît. Elle finit écrouler sur son lit.

La tendresse entre elles deux renforce la violence des rapports aux autres et la lourdeur de leurs cœurs. C’est ce sentiment qui persiste, une fois le livre refermé, celui de deux êtres qui n’arrivent pas à alléger leur cœur.

Cette bande dessinée est publiée par Sarbacane au prix de 25€.

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