Les Faiseurs d’ange

Quatre ans après un avortement clandestin, Jeanne Blade se décide enfin à consulter. L’opération est devenue inévitable. À sa sortie de l’hôpital, le chirurgien lui annonce pourtant que sa stérilité serait bientôt irréversible. C’est le début d’une vie faite de questionnements et de sensations autour de la féminité, de la maternité et de l’amour avec l’autre dans une France remuée par les revendications féministes et le traumatisme des guerres de décolonisation.

Cette nuit-là est un baume, une renaissance. La fin et le début de quelque chose. Ils ne font pas exception, chacun d’eux dispose de deux chemins : celui de l’esprit, du rêve, de la parole, et celui de la chair, du corps et des sens. La surprise vient de ce que chacun résonne avec l’autre. La partition est parfaite, avec ses ajouts progressifs, ses combinaisons nouvelles, de mots, de baisers, de caresses, de rires, de plis, de déplis et de replis, de sucs et de sueurs, d’odeurs étourdissantes, de silence et d’inertie.
Jeanne découvre la lenteur, la feu de la lenteur, le suspens de la lenteur. « Comment te connaître si je ne connais pas chaque millimètre carré de ta peau, de ton enveloppe? » lui chuchote Reda. Et voilà maintenant que sa bouche s’attarde sur la cicatrice, le mince bourrelet, qui traverse le bas du ventre de Jeanne et qui lui vient de la Salpêtrière. Comme s’il aimait tout d’elle.

Le premier roman de Martine van Woerkens s’ouvre sur une impression de vitesse. Les actions, les réactions, les remarques du professeur, la douleur, l’historique médical… tout cela se mêle sans comprendre où se situe Jeanne. C’est une avalanche de contraintes qui s’abat sur elle. Elle est entourée d’un cadre rigide où sa féminité, sa maternité, sa sexualité sont observées par des hommes et une société. Arrive ensuite une pause. On saisit alors que Jeanne raconte son histoire à Mêle-Brin, une femme plus âgée qui ne partage pas son point de vue sur le combat féministe et sur certains figures marquantes (Gisèle Halimi et le procès de Bobigny). Les premiers chapitres créent une sensation troublante. On voit naître une douleur profonde chez cette femme et un engagement politique. La vie de Jeanne est un combat.

Le roman se divise en deux parties : d’abord, Jeanne, son parcours, son engagement, sa vie, ensuite, Jeanne et Reda. Au début, on entend une voix qui nous explique l’origine de son soulèvement, de son indignation face a sa société et son époque. Cela va des propos paternalistes lors des examens médicaux aux injonctions faites aux femmes sur les sujets les plus intimes. La seconde partie est la rencontre de deux êtres et de leur combat respectif. Au sein de ce couple, vient également le sujet du dialogue et de la parole libérée. Jeanne veut savoir plus de choses sur la guerre. Reda a l’impression d’avoir déjà tout dit. Est-ce que tout a été dit ? Ou est-ce que ça n’a pas été entendu ? Dans quelle mesure, les voix des individus portent-elles vraiment dans cette France.

Le livre est un long parcours d’un être pour libérer sa parole et livrer sa douleur. Le chemin suivi est poétique et imaginaire. L’autrice tire un fil de l’expression et du titre « les faiseurs d’anges ». Elle montre la violence physique et psychologique de l’avortement (subi avant la loi Veil) et la fait cohabiter avec ces presque nés devenus esprits. C’est une manière, parfois déstabilisante sans que cela n’empêche l’émotion, de rappeler qu’une société est un ensemble de voix tues et que le silence – personnel ou collectif, contraint ou choisi – prend de la place.

Ce roman de Martine van Woerkens est publié par Sabine Wespieser Editeur au prix de 21€.

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