Tous les hommes désirent naturellement savoir

C’est le récit à la première personne de la jeunesse de la romancière. Elle y raconte les nuits de recherche de l’amour, de la découverte de l’homosexualité entre deux pays (Algérie et France) et de l’attachement aux mots.

Ourdiha est croyante. Elle dit qu’elle n’a pas besoin de cacher sa peau, ses cheveux, pour être une femme pieuse, que la religion ce n’est pas ça, pas que ça en tout cas, la religion, c’est la bonté et le pardon avant tout. Et la morale aussi : ne pas voler, ne pas tuer, mentir on peut un peu surtout les enfants, à condition de s’excuser après. Je la regarde prier sans qu’elle me voie, à genoux sur son tapis, les mains levées, je ressens sa ferveur que je lui envie, elle embrasse un monde que je ne connais pas, qui me semble plus doux que le mien. Je cherche d’autres directions que celles que l’on m’assigne. Ma mère, elle, évoque la mort comme une délivrance — après, il n’y aura plus rien. 

Ce roman est ensorcelant par l’intensité de la parole écrite de l’auteure et la multitude de sujets évoqués. La narratrice, Nina, se remémore la quête de sa jeunesse, la recherche d’un équilibre pour être soi. Elle navigue entre l’Algérie et la France, entre deux formes de violence (toujours persistante envers les femmes), entre deux manières d’aimer… Ces allers-retours renforcés par le choix de mise en page (alternance de deux titres pour les chapitres : se souvenir et devenir) nous font entrer de plain-pied dans le questionnement de cette jeune fille, devenant femme. Elle partage avec nous ses questionnements, son observation, la sensation de l’évolution de son regard. Mais ce qui trouble l’environnement de la lecture, c’est ce retour sur le passé. Les chapitres intitulés « se souvenir » témoignent du besoin d’un retour aux sources, à une réalité marquante avec le sentiment de la distance. Il y a donc un recul évident ainsi qu’un effort pour se rappeler le chemin parcouru. Ces chapitres ne sont pas linéaires, ils sont parfois flous ou au contraire fulgurants (selon la force du souvenir). Le parcours proposé est donc progressif ce qui permet aux lecteurs d’intégrer la personnalité de Nina, mais aussi de recoller les morceaux et de construire la cohérence des émotions et des choix. Le personnage démontre sa force, sa détermination avec pudeur.
Nina Bouraoui manie avec habileté toutes les figures essentielles de l’adolescence et replace cette période de grande réflexion dans une dimension tragique. Le ton est sérieux, les actions ont des conséquences. La mort n’est jamais loin. Ce livre devient également le témoignage d’une époque, celle de l’Algérie (avant la guerre civile) et celle de la France conservatrice refoulant l’homosexualité. Le lecteur recueille avec attention les mots et les secrets de la jeune fille en réflexion.

Ce roman est publié par Jean-Claude Lattès au prix de 19€.

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