Miss Sarajevo

Joaquim apprend la mort de son père. Obligé de revenir à Rouen, sa ville natale, il replonge dans son passé allant de sa famille bourgeoise et secrète à sa découverte de Sarajevo, ville sacrifiée. Au-delà du temps et de l’espace, il tente de recomposer les morceaux de sa vie.

La mort ne révèle rien. Elle entérine ce qui a toujours été, que personne n’a voulu regarder et que la mémoire a évacué. Il faut se pencher sur le fonctionnement du cerveau pour comprendre comment telle chose a pu s’évanouir, et telle autre se graver au-delà de la conscience. On n’est jamais trop jeune pour se souvenir. On n’est jamais trop vieux non plus. Joaquim a lu quantité d’articles sur le sujet pour parvenir à supporter, six mois durant, chaque week-end entre la mort de sa sœur et son départ pour Sarajevo, la progression fulgurante des troubles cognitifs de sa mère.

Ce roman est éblouissant par son premier chapitre. En se concentrant pendant quelques pages sur Nicéphore Niepce, la romancière fixe les principaux thèmes de son texte : la famille, l’obsession créatrice, la captation du temps, la vérité des représentations et la cohabitation des noeuds intérieurs. Tout cela est présent permettant aux lecteurs de disposer tout au long du texte d’images fortes. La puissance de la photographie est utilisée pour fixer des sujets qui seront ensuite explorées grâce aux nuances de la littérature. Ingrid Thobois développe toute la psychologie de Joaquim et de ses proches dans une quête intime et humaniste. Il n’est question que de paix. En s’appuyant sur la dernière guerre européenne, elle confronte cette notion aux tourments actuels. Elle revient aux sources (de la photographie, de la famille, de Joaquim) pour mieux montrer la persistance des troubles et des défis. Il doit affronter sa colère et ses peurs. La dramaturgie de ce roman est très efficace et confiante dans ses effets, la romancière explique peu de choses. Elle ne donne pas les clés mais confronte les éléments les uns aux autres. L’énergie alors déployée dynamise l’ensemble et nous emporte jusqu’à la maison familiale et à l’humanité joyeuse meurtrie à Sarajevo. Les fantômes d’une vie sont présents de bout en bout, amplifiant l’émotion de la lecture. Un roman d’une finesse et d’une délicatesse inouïes.

Ce roman est publié par Buchet/Chastel au prix de 16€.

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