Jeanne et le Orange et le Désordre

Présentée pendant les SOLI du CDN Orléans, la nouvelle création de Louise Emö sonde les remous d’un drame intime.

Jeanne arrive et se plante sur le devant de la scène. Mais ce n’est pas encore tout à fait Jeanne. Louise Emö ouvre sa création avec une tonalité de stand up, de cette parole debout qui lui va si bien. Les pieds bien ancrés, la sensibilité alerte, l’autrice, metteuse en scène et interprète parle d’elle, de son arrivée dans la ville de la représentation, de cette vie d’artiste fantasmée et submergée par les idées reçues. Elle distille les éléments du quotidien de ces dernières heures. C’est drôle, apportant du relief à la banalité, sans jamais tomber dans le grandiloquent. Louise Emö se déplace sur le fil de la sincérité, avec son regard intense et la rythmique de ses mots. C’est par eux que nous rentrons dans la vie de Jeanne, cette mère qui a perdu son enfant, Simon, sujet d’un précédent spectacle. 

Le second volet de cette série théâtrale met en scène les émotions sur ce qui n’a pas de mots. Jeanne est devenue mère en ayant un enfant. Maintenant que Simon n’est plus, alors qui est Jeanne ? Elle nous raconte l’enterrement, la vie d’après, entourée de voisins mais aussi celle d’avant, rythmée par les questions de Simon, de sa volonté de saisir la cohérence du monde. Jeanne nous expose sa vie éclatée. Elle tient le cap dans cette brume émotionnelle, se confrontant toujours au même mur, celui de l’innommable. 

Le texte, mêlant le français et l’anglais, porté par une musicalité envoûtante, est porté par l’énergie contenue de son interprète. Sur scène, Louise Emö bouge peu, faisant alors du moindre mouvement l’évocation d’un monde plus grand. C’est sa parole, son flot de mots qui nous emportent. Ils sont martelés de telle manière que les spectateurs·trices esquissent les moments d’une vie désolée dans laquelle Jeanne ne se retrouve plus. 

On sent toute la fragilité de son personnage, être en quête de direction. La délicatesse de la situation n’amène pas une écriture à distance. Louise Emö ne recule pas, elle fait des pas de côté, du côté de l’humour, du côté du drame. Elle n’installe pas une chape de plomb tragique sur la situation mais capte les nuances d’une vie meurtrie. Jeanne, une fois Simon mort, reste avec ce Orange et ce Désordre, avec cette explosion et cette incompréhension. On fait avec elle le constat de ce qui reste et on ressent le poids de l’absence, celle des êtres, celle des mots. Il faut les chercher, ces mots qui peuvent sauver, définir et réparer. Le spectacle de Louise Emö est une quête de mots, de redonner du sens à la vie et aux êtres. 


Écriture, mise en scène & interprétation Louise Emö
Lumière Clément Longueville

Production La ParoleAuCentre (La PAC) / Soutiens MC93 Maison de la culture de Bobigny, Le Quai – CDN Angers, Théâtre Ouvert Centre national des dramaturgies contemporaines, Grand Parquet – Théâtre Paris-Villette, La Semaine du son – Bruxelles, Festival ProPulse, Centre culturel Jacques Franck – Bruxelles, Labo Victor – Rouen, L’Étincelle Théâtre de la Ville de Rouen, Festival Art et Déchirure, Théâtre de L’Aire Libre, Festival

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