De la main d’une femme

Il y a 230 ans, le 13 juillet 1793, Marie Anne Charlotte de Corday d’Armont, 24 ans, assassinait l’Ami du peuple, Jean-Paul Marat. Quatre jours plus tard, elle était guillotinée.
Lointaine cousine fascinée par cette parente, Astrid de Laage s’est plongée dans l’Histoire. Celle officielle, formée par la légende et ce que les archives racontent. Un parcours entre le passé et le présent, entre la réalité supposée d’une femme au coeur de la Révolution française et ce que le présent a gardé d’elle.

Le voilà seul. Il inspire un grand coup pour se donner l’élan, emplir ses branchies de l’atmosphère liquide, épaisse, propice à la métamorphose. Laisser la place à cet autre qui vit dans le sombre, comme un poisson-lanterne, et ne surgit à la lumière que lorsqu’il l’appelle. Ce personnage, c’est l’Ami du peuple, celui qui voit. N’avait-il pas prédit la fuite du roi ? Avant même que l’idée ne soit parvenue à la conscience de Louis XVI, l’Ami du peuple avait répandu la nouvelle, tel un devin, tel un Cassandre. Qui l’avait cru ? Personne.
L’Ami du peuple est radical, téméraire, cruel aussi. N’hésitant pas à faire couper des têtes pour que surgisse enfin la Vérité, celle dont il fait passion commune avec Rousseau, Vitam impendere vers. Consacrer sa vie à la Vérité. Cette Vérité que le peuple mérite et dont il a grand besoin après des siècles d’asservissement et de despotisme.
Les mots de la veille sont à peine séchés qu’il trempe sa plume dans l’encre visqueuse, cherchant l’énergie nécessaire au rythme de l’écriture.

Astrid de Laage, à partir d’un lien de parenté, plonge dans la vie de Charlotte Corday. Elle part de la scène de crime qui a uni (conclusion du livre et apogée dramatique finement mise en scène) les destins de Marat et Charlotte Corday pour apprivoiser les parcours de l’un et l’autre. Elle avance avec précaution et minutie, enlevant le vernis de l’histoire qui a figé ses deux figures. L’autrice capte ces deux êtres et apporte de la nuance et rappelle les questionnements (idéologiques et sentimentaux) qui peuvent les éclairer. Le livre n’est pas un bréviaire historique. C’est un point de vue intime sur ces deux personnages marquants de la Révolution française.
La période foisonnante, passionnée et violente, est un cadre idéal pour ce livre et Astrid de Laage est portée par cette énergie. Quand elle se concentre sur sa famille actuelle, le rythme est différent. Ces parenthèses souffrent de la comparaison avec l’aura qui entoure Charlotte Corday. En abordant la Révolution française, Astrid de Laage observe un monde en pleine construction : une France qui quitte l’Ancien Régime pour un autre horizon. Des professions se fondent comme celle de journaliste avec une liberté de la presse acquise mais perçue dangereusement parfois ou encore député dont les débats sont tonitruants parfois et dont la parole peut être coupée par la guillotine. Marat apparaît alors dans toute sa contradiction comme journaliste pointant les fautes de députés. Vigie de cette société ou prédicateur ? Ce rôle ambivalent permet d’aborder Charlotte Corday de diverses manières. Astrid de Laage tente de cerner la personnalité de sa lointaine cousine. Elle esquisse un portrait tout en nuances et en interrogations sans jamais se perdre dans des conclusions hâtives ou une accumulation d’anecdotes. En suivant le parcours de cette femme, on perçoit les mouvements idéologiques qui brassent l’époque, notamment cette volonté du consensus politique (ne pas vraiment abandonner l’Ancien Régime mais accueillir avec joie quelques idées de la Révolution) et cet appétit de liberté, d’expression. Ce portrait est également l’occasion de parler de la place des femmes dans le XVIIIe siècle, comme peut le faire le podcast de Philippe Collin consacrée à la Comtesse du Barry. Ce siècle aurait favorisé l’émergence des femmes mais ces deux parcours (sans plus de points communs que la contemporanéité) indiquent la violence qui s’est abattue sur elles, rappelant que les femmes n’avaient pas de place dans le débat public.

Le livre d’Astrid de Laage est publié par Grasset au prix de 19,50€.

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